La loi est passée, certes, mais on a fait passer à la trappe bien des contre-arguments très sensés, comme ceux de Claire Neirinck sur la filiation (merci à Pierre).
Si vous préférez lire pour mieux enregistrer ses paroles (extrait des compte-rendus de la commission des lois du Sénat)
Mme Neirinck est spécialiste du droit de la
famille ; elle a écrit de nombreux livres, dont « La
famille que je veux, quand je veux ? ». Le point
d'interrogation n'est pas neutre !
Vous avez également participé aux Etats
généraux du mariage organisé à l'Université
de Toulouse en 2007.
Mme Claire Neirinck. - Merci de
votre invitation. J'ai beaucoup hésité à venir ; j'ai
été auditionnée par l'Assemblée nationale, mais je
n'ai pas eu le sentiment d'être écoutée ! Mais je suis
venue, car le sujet est grave : de tous les liens du droit, les liens
familiaux sont les plus importants. Il faut que la famille soit forte !
Le droit de la famille est fondé sur l'alliance et la
filiation. Le mariage, étymologiquement, c'est l'accord de la femme
d'être la mère des enfants de l'époux. On sait toujours qui
est la mère, y compris avec la gestation pour autrui (GPA), mais jamais
qui est le père parce que la mère peut entretenir des relations
sexuelles avec plusieurs hommes : filiation et mariage sont
indétachables. Aujourd'hui, encore, pour le père, on se contente
du vraisemblable : c'est la présomption de paternité. Le
mariage a beaucoup évolué, il est même en
déclin : il naît plus d'enfants hors du mariage que dans le
mariage. Aujourd'hui, tous les enfants sont traités de la même
manière ; si l'amant reconnaît l'enfant avant le mari, ce
sera lui le père.
En 2009, vous aviez donné la primauté à
la filiation sur le mariage ; en 2013, vous faites l'inverse. Il faut
être cohérent. Dans la famille biologique, l'enfant a deux lignes
d'ascendants ; là, vous aurez une seule ligne d'ascendants. Si on
ouvre uniquement le mariage aux homosexuels, il n'y a pas grand-chose à
changer, puisque la présomption de paternité ne concerne pas les
homosexuels. En accordant le mariage et la filiation, vous changez la
donne ; ce faisant, vous bouleversez toutes les règles de la
filiation, de la procréation médicalement assistée (PMA),
de l'état civil et de la parenté, bref tout le droit de la
famille. Une telle réforme ne peut être votée dans la
précipitation !
D'abord, vous changez la règle de la filiation. Premier
problème : il n'y a plus d'enfants à adopter : en
octobre 2012, Le Monde indiquait que le nombre d'adoptions internationales
avait chuté de 4 000 en 2005 à 1 500 en 2012 ; de
plus, de nombreux pays refuseront de donner des enfants à des couples
homosexuels. Deuxième problème : dans l'adoption
plénière, l'acte de naissance d'origine de l'enfant est
annulé ; le jugement d'adoption est retranscrit et devient
l'état civil ; dès lors, à terme, vous devrez
repenser l'adoption, car vous supprimez la différence entre adoptions
plénière et simple. L'adoption de l'enfant du conjoint semble
plus facile mais elle pose de nombreux problèmes. D'abord, aux termes de
l'article 345-1 du code civil, l'adoption est interdite si l'enfant a
déjà deux parents. Si l'enfant n'a qu'un parent, l'adoption de
l'enfant du conjoint est possible, mais vous créez une discrimination...
Vous accordez l'adoption de l'enfant du conjoint, mais comment le premier
parent l'est-il devenu ? Par la fraude à la loi...
La PMA est un palliatif à l'infertilité ;
elle est donc réservée aux couples hétérosexuels.
Si vous admettez qu'une femme accède à un don de sperme anonyme,
vous changez le fondement de la PMA : soit c'est de convenance pour tout
le monde, soit pour personne ! Et quid des donneurs ?
Actuellement, ce sont des militants : c'est une solidarité entre
hommes. Croyez-vous que beaucoup de donneurs vont donner à des couples
de femmes ? Allez-vous faire payer le sperme ? Voulez-vous
créer deux filières ? C'est pour cela que les CECOS sont
contre la réforme...
La filiation, dans la PMA actuelle, résulte de la
présomption mais laisse jouer l'apparence de la procréation.
Comment allez-vous gérer la conséquence de la
réforme ? Désormais, toutes les femmes seules vont pouvoir y
avoir accès... La GPA est la plus inacceptable : si vous accordez
le don de sperme aux femmes seules, vous serez obligés d'accepter la
GPA ! L'Espagne était opposée à la GPA ; elle a
accepté le don de sperme aux femmes seules, puis le mariage
homosexuel : les homosexuels demandent maintenant, au nom de
l'égalité, l'accès à la GPA... L'Espagne n'est pas
hypocrite : elle ne sait pas sortir d'un guêpier dans lequel nous ne
devrions pas nous fourrer. La GPA n'est pas de la
générosité, mais la pire exploitation, un nouvel
esclavage ! Sylviane Agacinski a raison, c'est la main-mise de l'homme sur
le ventre de la femme. La GPA ne peut être un don, lequel implique le
détachement. Là, vous ne pouvez détacher la gestation de
la mère ; il n'y a que l'enfant qui est donné.
Juridiquement, c'est un contrat d'entreprise : deux personnes s'engagent,
l'une à fournir un service, l'autre à le payer. La GPA, c'est
l'exploitation des plus pauvres ; voilà pourquoi les tribunaux ont
toujours condamné des paternités frauduleuses. C'est d'ailleurs
sur ce fondement que le ministère public a refusé des
reconnaissances qui correspondaient à la vérité biologique
d'hommes qui étaient allés à l'étranger payer une
mère porteuse en leur disant : « Vous avez
acheté l'enfant, c'est donc une paternité frauduleuse, bien que
vous en soyez le géniteur. »
Vous bouleversez le droit de la famille au profit d'une
minorité. C'est extrêmement grave ; si vous le faites, prenez
au moins le temps de la réflexion !
M.
Jean-Pierre Sueur,
président. - Vous
êtes parfaitement claire. Le Sénat n'a pas encore examiné
ce projet qui ne deviendra loi qu'au terme du processus prévu par la
Constitution... Le vote du Sénat ne sera sans doute pas conforme
à celui de l'Assemblée nationale ; il y aura donc une
nouvelle lecture, puis une commission mixte paritaire : il est donc utile
de venir s'exprimer devant nous.
M.
Jean-Pierre Michel,
rapporteur. - Merci pour
la clarté de votre exposé. La question du mariage homosexuel me
paraît politiquement réglée. Vous posez le problème
différemment : faut-il faire autre chose ? A
l'évidence, une réforme de l'adoption est nécessaire.
Selon le Gouvernement, le texte est justifié par
l'égalité ; or celle-ci, semble-t-il, implique la GPA.
Que faire pour répondre à la demande des
homosexuels d'être mariés ? Que faire pour les filiations qui
existent déjà ?
On peut être hostiles à l'extension de la PMA,
mais faut-il laisser la fraude s'installer ?
Mme Claire Neirinck. -La circulaire
de Mme Taubira, qui fait toujours référence à
l'article 47 du code civil, ne règle aucun problème... Si
vous faites droit à la GPA en disant que la mère porteuse n'est
pas la mère, sur quoi allez-vous fonder la maternité ?
Le seul point d'ancrage de la filiation, c'est la
maternité. Le père, c'est celui qui a eu des relations sexuelles
avec la mère ; la mère, c'est celle qui accouche. Si la
femme qui accouche n'est rien, sur quoi sera fondée la
maternité ? Sur la présomption, sur une fiction. Ou bien sur
un désir qui va et vient ? On ne peut pas dire que la filiation
devient de l'autorité parentale. Ou alors, et c'est ce qu'a
dénoncé Mme Mirkovic, tout est possible, comme aux Etats-Unis,
où un enfant peut avoir quatre parents... Pour l'enfant, la filiation
doit faire sens, même si elle n'est pas vraie biologiquement.
Mme Claire Neirinck. - La GPA
n'est admise que dans les pays « marchands », dans lesquels
les contrats dominent la vie. Mais peut-on établir une filiation par
contrat ? Moi, cela me choque ; si la filiation résulte du
contrat, vous faites entrer l'enfant dans la société marchande.
C'est peut être la modernité de faire de l'enfant un bien de
consommation comme un autre, mais ça me révulse en tant que
mère et grand-mère !
Que faire des enfants qui sont déjà
là ? L'adoption simple est possible lorsqu'un enfant est devenu
majeur, puisqu'elle n'est subordonnée qu'à son consentement. Un
enfant élevé par sa mère et une autre femme, à sa
majorité, aura plaisir à être adopté par cette
femme : ce sera la reconnaissance de l'affection qu'il lui porte. Mais
c'est lui qui le demandera, cela ne lui sera pas imposé.
Tous les instruments existent pour gérer les situations
existantes : délégation d'autorité parentale, tutelle
testamentaire par exemple... Mais on ne veut pas les utiliser car on demande
autre chose.
M.
Jean-René Lecerf. - J'étais favorable au
remplacement du mariage par l'union civile, mais il est trop tard... Demain, le
mariage sera ouvert à tous. Où s'arrêter, pour
éviter des bouleversements catastrophiques ? La jurisprudence donne
une certaine souplesse : les homosexuels pourraient en
bénéficier.
Les parlementaires connaissent mal les instruments permettant
de gérer les enfants de couples de parents de même sexe. Ces
enfants existent déjà, et il y en aura toujours !
Comment protéger le conjoint ?
M.
Philippe Darniche. - Vous avez dit ce que vous pensiez sur
la GPA et la PMA. Les représentants des associations d'homosexuels ne
doutent pas que le mariage pour tous soit voté, mais affirment qu'il
s'agit d'une étape et qu'il faut aller au-delà : le mariage
homosexuel devient-il alors acceptable ? Mme Agacinski nous a dit ce matin
qu'il y a des limites à l'application systématique du principe
d'égalité ; où est l'égalité ?
Mme
Catherine Tasca. - Vous avez souligné que le recours
à la GPA est autorisé dans des pays où le contrat domine.
Les GPA actuelles entreront dans la logique de tels contrats. Jusqu'où
le contrat peut aller quand il s'agit du vivant ? Je ne suis favorable ni
à la PMA hors nécessité médicale, ni à la
GPA. Mais comme le train est parti, jusqu'où peut aller le
contrat ?
Mme Claire
Neirinck. - Monsieur Lecerf, les couples qui ont
déjà des enfants ont fraudé ; ils l'ont fait en
connaissance de cause. Il est malhonnête de leur part de dire que comme
ces enfants sont là, il faut les aider. Ils ont pris le risque en
connaissance de cause ; pourquoi légaliser la fraude ? J'y
suis totalement opposée.
Le droit ne doit pas suivre le désir des gens mais en
limiter la folie. Il pose des limites.
Si vous autorisez la GPA, il devient inutile de
réformer l'adoption car plus personne n'adoptera. Pourquoi
s'embêter à demander un agrément et à attendre cinq
ans pour avoir un enfant avec six doigts ou un bec de lièvre,
alors qu'avec la GPA, vous avez l'enfant qui vous convient ? Et s'il a une
anomalie, il suffira de faire avorter la mère porteuse...Est-ce le monde
que vous voulez ?
Le problème, c'est la limite.
Il y a le piège de l'égalité. Lors de la
loi bioéthique, on a parlé du don de sperme et très vite
du don de gamètes. Or, ce n'est pas la même chose : il n'y a
pas égalité entre le sperme et les ovocytes : ainsi, que je
sache, la récolte des ovocytes est faite de façon chirurgicale,
pas celui de sperme. Maintenant, Mme André écrit dans son rapport
que la GPA, c'est un peu plus que le don d'ovocyte...Non :
l'égalité, c'est de traiter de façon identique des choses
identiques.
Un couple qui se reproduit n'est pas identique à un
couple qui ne peut pas se reproduire. L'égalité consiste à
traiter également des situations identiques. Ce n'est pas le cas ici.
Le code civil, dans son article 1128, dit que seules les
choses qui sont dans le commerce peuvent faire l'objet de conventions. Que je
sache, en France, la maternité ne peut ni se vendre ni s'acheter. Mais
si vous autorisez la GPA, la filiation peut rentrer dans le contrat. Dans les
pays où cela est pratiqué, comme c'est l'accouchement qui fait la
mère, la mère figure sur l'acte de naissance, mais elle renonce
à ses droits parentaux par contrat et le juge qui a validé ce
contrat ordonne à l'officier d'état civil d'inscrire le nom du
bénéficiaire.
Mme
Michelle Meunier,
rapporteure pour avis. -
Ce matin, nous avons entendu les représentants des familles adoptantes.
Quasiment toutes ont connu un passage médical, souvent douloureusement
vécu, ce qui ne les a pas empêchées d'adopter. Cela
relativise vos prédictions sur l'avenir de l'adoption.
Mme Claire Neirinck. - Oui,
mais dans la législation actuelle. Le jour où la GPA sera
permise, la question se posera dans des termes différents. Je connais la
situation actuelle pour avoir été longtemps membre du conseil de
famille des pupilles de la Haute-Garonne ; le premier choix des couples
n'est pas d'adopter ; mais quand tous les couples pourront faire leurs
propres enfants, il n'y aura plus d'adoption : on achètera l'enfant.
Mme Claire Neirinck. - Quand on est
citoyen, il faut s'engager.