Serge Tisseron, commis voyageur de l’industrie numérique
jeudi 5 décembre 2013
par
Pièces et main d’œuvre
Autrefois, les bibliothèques encourageaient la lecture et diffusaient
des livres. Aujourd’hui, le réseau des bibliothèques municipales de
Grenoble est le premier à trahir ceux-ci pour l’ersatz numérique.
Mercredi 4 décembre 2013, il invitait Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste connecté, pour une conférence consacrée au dressage des enfants aux jeux vidéo et autres écrans.
La salle pleine de mamans s’inquiète de savoir combien d’heures de
télé et d’ordinateur permettre chaque jour à leurs enfants. A la tête
d’une escouade de bibliothécaires, Annie Brigant, directrice adjointe
des bibliothèques municipales, vante "l’engagement du réseau dans le
numérique, avec la numérisation des livres et de la presse, les jeux
vidéo, les liseuses, et de plus en plus d’écrans dans les bibliothèques".
On ne pleurera plus sur les réductions d’effectifs des bibliothèques
municipales quand leurs syndicats nous demanderont de signer leur
pétition "pour le maintien de l’emploi", comme les employés de la
librairie Arthaud qui vient de déposer le bilan. Contrairement à ce que
prétendent les fossoyeurs du livre et de la lecture, le papier et le
numérique ne "cohabiteront" pas.
Voici le tract que nous avons diffusé à cette conférence (à
télécharger ci-dessous), suscitant beaucoup d’approbation d’un public
qui n’ose pas toujours dire à haute voix sa répulsion pour l’invasion
numérique.
Sony, Microsoft, Nintendo
Serge Tisseron, commis voyageur de l’industrie numérique
Parents de l’an 2000, votre progéniture passe trop de temps devant
les écrans. Vous avez du mal à suivre Twitter, Facebook, les flux RSS,
la 4G, le peer to peer, le streaming. Ce n’est plus vous qui transmettez à vos enfants, mais eux qui vous enseignent comment ça marche.
Même si cette invasion de smartphones, tablettes, ordinateurs,
jeux vidéo, vous inquiète, comment dire non ? Vous ne voulez pas couper
vos enfants du monde, les priver des moyens de s’intégrer, de faire partie de la société – c’est-à-dire du réseau numérique. Il faut vivre avec son temps.
Les psys nomment votre problème « dissonance cognitive » : une part
de vous sait que le numérique est néfaste, une autre pense que vous
n’avez pas le choix pour dresser vos enfants au monde-machine. Ce que
n’eurent jamais à affronter vos propres parents. Certes, il y avait déjà
la télé, le transistor, le téléphone, le walkman. Mais vous êtes nés
avant la révolution numérique. Vous n’avez pas fait cette révolution, c’est elle qui vous a refaits. Il ne vous reste qu’à lui obéir. Vos enfants vous le rappellent chaque jour.
Le progrès technologique nous force à courir derrière lui, toujours
plus vite, sans autre raison que de suivre. L’industrie numérique
saccage l’environnement (1) et la santé, détruit le tissu social et les
emplois, nous soumet à une surveillance totale, déshumanise nos vies.
Nous sommes stressés, pressés, anxieux. Tout va trop vite. C’est le syndrome « Tapez "Etoile" ».
Heureusement, il y a le professeur Tisseron et son discours lénifiant
pour anesthésier vos consciences. Son créneau sur le marché des
média-psys : réduire votre fracture numérique, à l’aide d’un lavage de
cerveau étudié. Serge Tisseron ne vous dit pas pourquoi ni comment
résister au progrès du décervelage et de la déshumanisation. « Serge
Tisseron, psychiatre et psychanalyste, sait parler simplement de la
façon dont le numérique change notre rapport au monde, à nous-mêmes et
aux autres. Il vient à la rencontre du public grenoblois pour aborder la
pratique du jeu vidéo dont les effets psychologiques et sociaux
questionnent parents et pédagogues. » Questionner : le
langage torve et doucereux de la publicité pour cette conférence imite
le blabla des cellules d’aide psychologique. Bien entendu, vous n’en
croyez pas un mot, même si vous voulez bien faire semblant, quelque part.
Le docteur Tisseron nous rassure. Nous enseigne à « apprivoiser les
écrans », comme si ce n’était pas eux qui nous dressaient. Il nous
explique que « les jeux vidéo développent les capacités visuelles de l’enfant, son goût de la stratégie et son esprit d’initiative » (2) . Mieux que les jeux de cache-cache dans les bois. Surtout, les jeux vidéo « permettent
une familiarisation avec les nouvelles technologies. (…) Avec les
ordinateurs et les robots, nous allons être forcés d’introduire des
changements dans nos façons quotidiennes d’envisager le même objet. Nous
devrons savoir les traiter, alternativement, comme des équivalents
d’être humains ou comme de simples mécanismes inertes. (…) nous devrons
être capables, pendant le temps où nous les utilisons, de leur
reconnaître des capacités de raisonnement humaines et même des émotions.
(…) Les ordinateurs de demain seront des machines hybrides qui
appelleront à leur égard des comportements hybrides. (…) Grâce à leurs
jouets, les enfants pourraient bien s’adapter à la réversibilité de ces
nouveaux objets intelligents plus vite que les adultes. (…) Il serait
catastrophique que leurs parents ou leurs pédagogues les en empêchent. » (3)
Il serait catastrophique – pour l’industrie numérique et robotique –
que les parents et pédagogues enseignent l’esprit de résistance à leurs
enfants. C’est simple, vous voyez. En leur offrant des jeux vidéo, vous
adaptez les enfants au monde de l’hybride, où la machine devient humaine et l’humain devient machine. Vous ne voudriez tout de même pas que vos descendants restent de simples humains ?
Tandis que les ingénieurs de Microsoft, Apple, Sony, Google, mettent au
point les machines qui nous asservissent, avec lesquelles « nous allons être forcés d’introduire des changements », le psychiatre Serge Tisseron, lui, nous adapte au futur qu’on nous impose.
« - Ce qu’il vous faut, c’est un gramme de soma. » (4)
Brisons les filets électroniques
Parents qui voulez le meilleur pour vos enfants, suivez l’exemple des
cadres de la Silicon Valley – dirigeants d’e-Bay, Google, Apple, Yahoo
et autres géants du numérique. Moyennant 17 000 à 24 400 $ par an, leur
progéniture est éduquée dans une école privée Waldorf aux méthodes
révolutionnaires : tableau noir, encyclopédies, cahiers, crayons. Zéro
écran. Selon le New York Times (5) , les promoteurs du numérique
savent quelle addiction décervelante créent leurs machines et ne
voudraient à aucun prix y soumettre leurs petits. Voyez avec quel
cynisme ils traitent les nôtres, soumettant l’Education nationale à un
intense lobbying pour introduire l’informatique à l’école, les
« tableaux numériques interactifs », les classes virtuelles et autres
cahiers de textes numériques.(6)
Les techno-maîtres de la Silicon Valley savent les atteintes de
l’informatisation généralisée au corps, à la sensibilité,
l’apprentissage, la pensée, à la vie sociale, à la présence au monde.
Ordinateurs, télés et consoles de jeu ne font pas seulement écran
au monde réel. Ils destructurent les êtres humains. Parents et
pédagogues, vous savez aussi les difficultés de concentration des
enfants et des adolescents, les troubles d’attention et du sommeil,
l’irritabilité, les troubles alimentaires et le surpoids, l’assèchement
des relations familiales, l’appauvrissement du langage, de la faculté
d’élaborer des raisonnements logiques. Le petit d’homme apprend et
grandit par imitation. Animal social et culturel, il devient humain au
contact des humains. Que devient-il au contact des machines ? Des jours
et des nuits sur des écrans plutôt qu’en compagnie des livres, des
humains, de la nature, du monde ou d’eux-mêmes. À 75 ans, un Français a
passé onze années devant la télévision. Et nos enfants, combien d’années
auront-ils perdues devant leurs écrans ?
Le professeur Tisseron nous explique que tout est affaire de dosage
et de négociations sur le temps de cerveau offert à la machine
(négociations qui enchantent votre vie de famille à n’en pas douter).
Pour le psychiatre connecté, la télécommande serait un équivalent
du jeu « cacher/montrer », essentiel au développement des tout-petits.
Et de sermonner les parents qui « veulent empêcher leur enfant d’exercer ses talents de bébé zappeur. Quelle erreur ! » (7) En effet, ce serait empêcher bébé de s’adapter, dès le plus jeune âge, au monde déshumanisé qui ne perturbe pas Serge Tisseron tant qu’il peut y parader en dresseur numérique.
Les prothèses électroniques nous amputent de notre autonomie –
demandez donc à votre ado de se débrouiller une journée sans portable.
Vous-mêmes, savez-vous encore trouver votre chemin dans une ville
inconnue, retrouver quelqu’un après un rendez-vous raté, rentrer chez
vous si votre voiture tombe en panne, attendre une heure, sans téléphone portable, GPS et Internet ?
Éduquer ses enfants, c’est leur donner les moyens de l’autonomie, de
la confiance en eux-mêmes, de l’esprit critique. Tout ce que le pouvoir
détruit, en détruisant l’école, l’apprentissage de la langue et de la
lecture, remplacé par « l’éducation à l’image », sous l’impulsion
d’experts comme Sssssserge Tissssssseron. Lequel sert l’industrie
numérique et se nourrit de ses ravages, en nous rassurant comme Kaa, le
serpent du Livre de la Jungle : « Aie confiance, crois en moi ».
Vivre, plus que jamais, c’est vivre contre son temps. La
machinisation n’est pas une fatalité, mais le programme que l’industrie
et les décideurs ont conçu pour nous, conseillés par les communicants,
sociologues et psys experts en soumission : la nôtre. Nous n’avons pas
besoin de coachs en parentalité numérique, mais de reprendre en
main notre vie. De refuser le filet électronique qui nous enserre
jusqu’à nous déposséder de nous-mêmes. Nous avons besoin de courage pour
dire non, et de mémoire, pour comprendre ce que nous perdons en livrant
toutes nos capacités à la machine. Souvenons-nous, et transmettons à
nos enfants. Pourquoi sont-ils la cible privilégiée du marketing ?
N’ayant pas connu le monde d’avant, ils ne peuvent défendre ce que
l’industrie numérique a détruit. Ils ne peuvent pas se défendre.
Nous, si.
Débranchons-nous.
Tisseron
Version prête à circuler
126.3 ko
Y a t-il dans les "jeux" actuels (que je ne pratique pas) un pouvoir dire de NON ?
RépondreSupprimerC'est une question que je ne m'étais pas posée .
Mais je vais dès cette après midi la poser à mon fils ou mes filles ...!
Merci Hélios !
«Je crains le jour où La technologie surpassera nos échanges humains
RépondreSupprimerLe Monde aura une génération d'idiots »
Albert EINSTEIN
Tout à fait d'accord avec ces analyses !
RépondreSupprimerOui moi aussi d'accord !
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